Alain Nadaud
La tache aveugle
1980
Editeurs français réunis, 1980
Nouvelles, 224 p.
Messidor (nouvelle édition), 1990
Du "Calligraphe" à "L’Agitateur", d’Aloysius à Ivan Viatchevik, d’Afrique en Inde ou de Bagdad à Paris, autant de changements de lieux et d’époques vécus comme autant de ruptures face à la lancinance d’une même question ; entre la mystique et la délinquance, l’exotique et l’ennui, l’écriture : brutale irruption de l’extatique dans le quotidien…
Car ce qui fait la trame de ce livre, c’est que tous les personnages de ces nouvelles font, chacun dans son coin, à partir d’un rapport privilégié au signe, à la lettre ou à telle ou telle forme d’expression graphique, une certaine expérience de l’écriture qui les force tout à coup à décrocher du niveau normal de la réalité, et à entreprendre une espèce de voyage initiatique qui les conduira au bout d’eux-mêmes, jusqu’à ce point de non-retour, d’éblouissement, vision de cette tache aveugle qui est cet au-delà des mots, déjà cette autre dimension. A l’issue de cette épreuve hallucinatoire, de cette tentative de déchiffrement de l’irréel, parce que déjà passés de l’autre côté, ils en resteront marqués à jamais, étrangers au monde, et le regard brûlé.
Articles de presse
"Alain Nadaud ne doute pas non plus des mystérieux pouvoirs de l’écriture.(…) Philosophe de trente ans ayant percé au cours de ses voyages les secrets de l’Inde, de l’Afrique et du Moyen-Orient, il suggère que l’ataraxie, le nirvana sont au bout d’une plume. Pourquoi, après tout, les drogués du waterman n’auraient-ils pas, eux aussi, leurs hallucinations, leur extase mystique ?"
Jérôme Garcin, Les Nouvelles littéraires
"C’est de cette exigence que se nourrissent les textes de l’auteur. Pourquoi écrire, il est sain de se le demander ; pour qui écrire (est-ce pour soi, vraiment ?) ne l’est pas moins. En l’occurrence, Alain Nadaud semble préoccupé – il demeure que son livre est plein d’intérêt tout du long – par le comment écrire."
Lucien Curzi, L’Humanité
"Quinze beaux textes qui disent le livre, le scribe, le signe, la page et, peut-être bien, le pourquoi d’écrire et le mal de vivre. Livre attachant dont le sujet et la qualité autorisent pleinement l’expression : inscrivez Alain Nadaud sur vos tablettes."
Révolution
"Alain Nadaud emporté par sa virtuosité multiplie les points de vue, s’amuse à pasticher Borges, développe son thème, en épuise toutes les ressources… L’habileté de l’auteur est manifeste et il en joue abondamment. Mais là où il nous touche et nous retient, c’est lorsque lui-même se laisse gagner par les vertiges qu’il crée et qui sont ceux de l’écriture même."
Michel Nuridsany, Le Figaro
"Jusqu’où peut mener la fascination de l’écrit ? Les nouvelles d’Alain Nadaud nous entraînent, dans leur classique perfection, vers l’expérience de ses limites.(…) Ce que nous dit l’auteur, c’est qu’il en est des textes comme des nuages. On peut les regarder sans leur accorder de sens particulier, mais tout notre imaginaire peut aussi y circuler et voir dans leurs contours changeants autant de mondes à explorer, de signes à déchiffrer. Chacune de ces nouvelles atteste de l’extraordinaire jeu de miroirs que permet l’écriture. Ici, le trompe-l’œil est manié de main de maître, pour le plus grand plaisir du lecteur, à la fois hésitant et subjugué."
Jean-Baptiste Para, Révolution
Architexture
L'acte d'écrire, aussi loin que je remonte, est pour moi indissociable du questionnement de ce qui le fonde, et donc, par extension, d'une réflexion sur ses origines. Or, le hasard a fait que ma préoccupation concernant ce qui me faisait écrire a atteint sa plus grande acuité lors des deux années que j'ai passées en Irak, sur le lieu même où avait été inventée l'écriture. L'interrogation sur les raisons de son surgissement au sein de ma propre histoire personnelle rejoignait donc une interrogation plus générale sur l'apparition de celle-ci dans l'histoire de l'humanité.
Tout commence donc par une courte variation, intitulée “Lettre de Mésopotamie”, qui esquisse le lien qu'il y aurait entre le geste de la graphie et l'outil qui est utilisé pour l'accomplir. Elle sera suivie un peu plus tard, et sans qu'il y ait en apparence de lien entre les deux, par “Lettre du Kurdistan”, méditation sur la secte des Yézidis (ou "adorateurs du diable") dont la croyance m'a paru mettre en scène la métaphore du traumatisme psychologique – traduit par un processus de "diabolisation" - qui résulte du passage de la plénitude à l’abandon. On sait que Lucifer, en refusant de se soumettre à l'injonction divine qui lui recommandait de se mettre au service de l'homme, préféra sa damnation éternelle plutôt que de renoncer, même partiellement, à l'amour exclusif qu'il vouait à Dieu, devenant ainsi le premier martyr. Or, ces deux textes, publiés respectivement dans les revues "Europe" et "Minuit", forment la matrice du recueil qui s'agencera ensuite progressivement sous le titre "La Tache aveugle". La plupart des nouvelles qui le composent traitent d'ailleurs sous différentes formes de la même question : d’où vient que les hommes ont commencé à tracer des lettres ? Quel manque cette pratique vient-elle combler ? Interrogation qui se double d’une mise en fiction des potentialités du signe écrit, de l’énigme qu’il représente et des pouvoirs qu'il contient, que ceux-ci soient réels (“Le Calligraphe”) ou supposés (“L’Agitateur” ou "Incursion en territoire Chac-Xolt").
“Car ce qui fait la trame de ce livre, c’est que tous les personnages de ces nouvelles font, chacun dans son coin, à partir d’un rapport privilégié au signe, à la lettre ou à telle ou telle forme d’expression graphique, une certaine expérience de l’écriture qui les force tout à coup à décrocher du niveau normal de la réalité, et à entreprendre une espèce de voyage initiatique qui les conduira au bout d’eux-mêmes, jusqu’à ce point de non-retour, d’éblouissement, vision de cette tache aveugle qui est cet au-delà des mots, déjà cette autre dimension.” (Quatrième de couverture)
Rien que par son titre, "La Tache aveugle" formulait une sorte de programme pour l’avenir : par le recours à la fiction, s’interroger sur ce qui fait écrire, en dévie ou s'y oppose et, par là, tenter, toujours par le moyen de l'écriture, de franchir les résistances qui font obstacle à cette connaissance, de parvenir au plus près de ce qui ne veut pas se dire, de cette “scène primitive” d’où sourdent les mots, jusqu’à se heurter à ce point d’aveuglement où plus rien ne peut être distingué, où les signes perdent leurs couleurs et leur sens.
Bibliographie
Les années mortes
(autobiographie)
Alain Nadaud
2004